
Un marché plus large devrait permettre un accès plus facile aux fonds propres, notamment pour les entreprises innovantes. Le rapport Letta, par exemple, suggèrait la création d’une bourse européenne pour les startups de l’IA, du quantique et des biotechs. (Crédits: Adobe Stock / image générée par IA)
Le rapport de force se durcit entre le dollar et certaines autres monnaies, dont l'euro. Pour éviter tout dérapage et sortie de route, Jean-Paul Pollin estime qu'il est urgent de mettre en place une union des marchés de capitaux en Europe.
Depuis longtemps, et venant d'origines diverses, se font entendre des plaidoyers en faveur d'une Union européenne des marchés de capitaux. Le plus souvent, ils évoquent les avantages qu'elle aurait sur les coûts de financement des firmes et sur leur développement. Un marché plus large et plus liquide devrait permettre un accès plus facile aux fonds propres, notamment pour les entreprises innovantes. Le rapport Letta, par exemple, suggère la création d'une bourse européenne pour les startups de l'IA, du quantique et des biotechnologies.
Une union pour désintermédier les financements ?
Cette argumentation semble pourtant contestable. D'abord parce que le recours au marché impose des contraintes de gouvernance et un horizon de résultats qui peuvent nuire à l'innovation. Celle-ci suppose en effet qu'existent des relations stables à long terme entre les entreprises et leurs sources de financement. Des études ont montré que les entreprises financées par des fonds plus tolérants à l'échec déposent plus de brevets, et leur portée est en moyenne plus forte. D'autres ont mis en évidence que, lorsque des firmes s'introduisent sur les marchés boursiers, le nombre et la qualité de leurs innovations régressent. Le rapport Draghi, dans ses recommandations, semble d'ailleurs donner la priorité au développement de fonds publics et privés de capital-risque dédiés aux innovations de rupture et aux startups. C'est-à-dire qu'il met l'accent sur les financements intermédiés plutôt que de marchés.
Au demeurant, il n'a jamais été démontré qu'il existe une configuration optimale des systèmes financiers, mais on s'accorde en revanche pour considérer qu'il existe des complémentarités institutionnelles entre les différentes dimensions d'un système économique et social. Ainsi, l'efficience d'un système financier dépend de l'architecture institutionnelle dans laquelle il s'insère. Ce qui justifie le fait qu'en dépit de leurs différences, les systèmes de la zone euro sont largement intermédiés. Parce que certaines caractéristiques communes aux pays concernés (protection du travail, assurances sociales, formes de l'épargne…) s'accordent avec cette structure de financement, à la différence de ce que l'on observe dans les économies anglo-saxonnes.
Une union pour réorienter l'épargne mondiale
Pourtant, la constitution en Europe d'une union des marchés de capitaux apparaît aujourd'hui nécessaire et même urgente. Mais cet impératif relève d'une tout autre justification ; soulignons d'ailleurs au passage que l'on parle désormais d'union de l'épargne et de l'investissement. Car, à un moment où s'accumulent les besoins d'investissements publics et privés pour des motifs de transition écologique, de défense, de mutations technologiques, etc., il est très souhaitable que l'Union européenne, prise globalement, cherche à favoriser les entrées de capitaux et qu'à tout le moins elle s'efforce d'éviter que s'exporte une partie de son épargne (principalement aux États-Unis), comme cela se passe aujourd'hui. Ce qui suppose, entre autres, qu'elle unifie les marchés financiers nationaux pour les rendre plus profonds et liquides.
Plus précisément, il s'agit d'aller vers la constitution d'un marché de titres de dettes publiques suffisamment homogènes (en initiant par exemple des garanties collectives), mais aussi d'uniformiser certaines dispositions fiscales ainsi que les régulations et supervisions financières. Le travail à accomplir est lourd et obligera à concilier des intérêts nationaux divergents. Mais la période est propice à sa réalisation, car les divagations de la politique monétaire américaine remettent en cause la position du dollar dans ses fonctions de monnaie internationale (facturation, règlement et réserve de valeur), ainsi que le «privilège exorbitant» que cela lui confère. Ce qui offre à l'euro, mais aussi à d'autres devises (le yuan chinois tout particulièrement), l'occasion de récupérer une partie du privilège en question, c'est-à-dire des capacités de financement de la zone à de meilleures conditions. Pourvu qu'existent des possibilités de placements concurrentielles, et c'est bien là ce que l'on peut attendre de la construction de l'union de l'épargne et de l'investissement.
3 commentaires
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer